Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/149

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ont-ils un cœur, ont-ils des sentiments, de l’honneur, un caractère ? Ils n’ont que des vices, surtout avec une fille de votre état, que mon neveu croira fort au-dessous de lui, qu’il regardera comme une jolie grisette, dont il va tâcher de faire une bonne fortune, et à qui il se promet bien de tourner la tête ; ne vous attendez pas à autre chose. De petites galanteries, de petits présents qui vous amuseront ; les protestations les plus tendres, que vous croirez ; un étalage de sa fausse passion, qui vous séduira ; un éloge éternel de vos charmes ; enfin, de petits rendez-vous que vous refuserez d’abord, que vous accorderez après, et qui cesseront tout d’un coup par l’inconstance et par les dégoûts du jeune homme : voilà tout ce qui en arrivera. Voyez, cela vous convient-il ? je vous le demande, est-ce là ce qu’il vous faut ? Vous avez de l’esprit et de la raison, et il n’est pas possible que vous ne considériez quelquefois le cas où vous êtes, que vous n’en soyez inquiète, effrayée. On a beau être jeune, distraite, imprudente, tout ce qui vous plaira ; on ne saurait pourtant oublier son état, quand il est aussi triste, aussi déplorable que le vôtre ; et je ne dis rien de trop, vous le savez, Marianne : vous êtes une orpheline, et une orpheline inconnue à tout le monde, qui ne tient à qui que ce soit sur la terre, dont qui que ce soit ne s’inquiète et ne se soucie, ignorée pour jamais de votre famille, que vous ignorez de même, sans parents, sans bien, sans amis, moi seul excepté, que vous n’avez connu que par hasard, qui suis le seul qui s’intéresse à vous,