Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/184

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grâce, il serait bien placé dans une aussi malheureuse créature que moi, qui erre inconnue sur la terre, où j’ai la honte de vivre pour y être l’objet, ou du rebut, ou de la compassion des autres.

J’arrive enfin dans un abattement que je ne saurais exprimer ; je demande le religieux, et on me mène dans une salle en dehors où l’on me dit qu’il est avec une autre personne ; et cette personne, madame, admirez ce coup de hasard, c’est M. de Climal, qui rougit et pâlit tour à tour en me voyant, et sur lequel je ne jetai non plus les yeux que si je ne l’avais jamais vu.

Ah ! c’est vous, mademoiselle, me dit le religieux ; approchez, je suis bien aise que vous arriviez dans ce moment ; c’est de vous dont nous nous entretenons ; mettez-vous là.

Non, mon père, reprit aussitôt M. de Climal en prenant congé du religieux ; souffrez que je vous quitte. Après ce qui est arrivé, il serait indécent que je restasse : ce n’est pas assurément que je sois fâché contre mademoiselle ; le ciel m’en préserve ; je lui pardonne de tout mon cœur et, bien loin de me ressentir de ce qu’elle a pensé de moi, je vous jure, mon père, que je lui veux plus de bien que jamais, et que je rends grâces à Dieu de la mortification que j’ai essuyée dans l’exercice de ma charité pour elle : mais je crois que la prudence et la religion même ne me permettent plus de la voir.

Et cela dit, mon homme salua le père, et, qui pis est, me salua moi-même les yeux modestement