Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/20

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parce qu’on prétend que je lui ressemblais un peu, du moins à ce que disaient ceux qui la virent morte, et qui me virent aussi, et que j’étais vêtue d’une manière trop distinguée pour n’être que la fille d’une femme de chambre.

J’oubliais à vous dire[1] qu’un laquais, qui était un des cavaliers de la voiture, s’enfuit blessé à travers les champs, et alla tomber de faiblesse à l’entrée d’un village voisin, où il mourut sans dire à qui il appartenait ; tout ce qu’on put tirer de lui, un moment avant qu’il expirât, c’est que son maître et sa maîtresse venaient d’être tués : mais cela n’apprenait rien.

Pendant que je criais sous le corps de cette femme morte qui était la plus jeune, cinq ou six officiers qui couraient la poste passèrent, et, voyant quelques personnes étendues mortes auprès du carrosse qui ne bougeait, entendant un enfant qui criait dedans, s’arrêtèrent à ce terrible spectacle, ou par la curiosité qu’on a souvent pour des choses qui ont une certaine horreur, ou pour voir ce que c’était que cet enfant qui criait, et pour lui donner du secours. Ils regardent dans le carrosse, y voient encore un homme

  1. J’oubliais à vous dire. Le verbe oublier se construit rarement avec la préposition à, devant un infinitif. On l’emploie ainsi quand il s’agit de désigner une habitude négligée, exemple : J’oublie à danser. Mais s’il indique, comme ici, une négligence de la mémoire, il prendre toujours la préposition de. Boileau, dans une de ses lettres, a laissé échapper la même faute ; mais ce n’est pas lorsqu’ils pêchent qu’il faut imiter les grands écrivains.