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Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/21

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tué, et cette femme morte tombée dans la portière, où ils jugeaient bien par mes cris que j’étais aussi.

Quelqu’un d’entre eux, à ce qu’ils ont dit depuis, voulait qu’ils se retirassent ; mais un autre, ému de compassion pour moi, les arrêta, et mettant le premier pied à terre, alla ouvrir la portière où j’étais, et les autres le suivirent. Nouvelle horreur qui les frappe, un côté du visage de cette dame morte était sur le mien, et elle m’avait baignée de son sang. Ils repoussèrent cette dame, et toute sanglante me retirèrent de dessous elle.

Après cela, il s’agissait de savoir ce que l’on ferait de moi, et où l’on me mettrait : ils voient de loin un petit village, où ils concluent qu’il faut me porter, et me donnent à un domestique qui me tenait enveloppée dans un manteau.

Leur dessein était de me remettre entre les mains du curé de ce village, afin qu’il me cherchât quelqu’un qui voulût bien prendre soin de moi ; mais ce curé, chez qui tous les habitants les conduisirent, était allé voir un de ses confrères ; il n’y avait chez lui que sa sœur, fille très pieuse, à qui je fis tant de pitié, qu’elle voulut bien me garder, en attendant l’aveu de son frère ; il y eut même un procès-verbal de fait sur tout ce que je vous ai dit, et qui fut écrit par une espèce de procureur fiscal du lieu.

Chacun de mes conducteurs ensuite donna généreusement pour moi quelque argent, qu’on mit dans une bourse dont on chargea la sœur du curé ; après quoi tout le monde s’en alla.