Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/200

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Mon affliction, qui lui parut extrême, la toucha ; ma jeunesse, ma bonne façon, peut-être aussi ma parure, l’attendrirent pour moi ; quand je parle de parure, c’est que cela n’y nuit pas.

Il est bon en pareille occasion de plaire un peu aux yeux, ils vous recommandent au cœur. Etes-vous malheureux et mal vêtu ? Ou vous échappez aux meilleurs cœurs du monde, ou ils ne prennent pour vous qu’un intérêt fort tiède ; vous n’avez pas l’attrait qui gagne leur vanité, et rien ne nous aide tant à être généreux envers les gens, rien ne nous fait tant goûter l’honneur et le plaisir de l’être, que de leur voir un air distingué.

La dame en question m’examina beaucoup, et aurait même attendu pour me voir que j’eusse retourné la tête, si on n’était pas venu l’avertir que la prieure l’attendait à son parloir.

Au bruit qu’elle fit en se retirant, je revins à moi ; et comme j’entendais marcher, je voulus voir qui c’était ; elle s’y attendait, et nos yeux se rencontrèrent.

Je rougis, en la voyant, d’avoir été surprise dans mes lamentations ; et malgré la petite confusion que j’en avais, je remarquai pourtant qu’elle était contente de la physionomie que je lui montrais, et que mon affliction la touchait. Tout cela était dans ses regards ; ce qui fit que les miens (s’ils lui dirent ce que je sentais) durent lui paraître aussi reconnaissants que timides ; car les âmes se répondent.

C’était en marchant qu’elle me regardait ; je baissai insensiblement les yeux, et elle sortit.