Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/22

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C’est de la sœur de ce curé de qui je tiens tout ce que je viens de vous raconter.

Je suis sûre que vous en frémissez ; on ne peut, en entrant dans la vie, éprouver d’infortune plus grande et plus bizarre. Heureusement je n’y étais pas quand elle m’arriva ; car ce n’est pas y être que de l’éprouver à l’âge de deux ans.

Je ne vous dirai point ce que devint le carrosse, ni ce qu’on fit des voyageurs tués ; cela ne me regarde point.

Quelques-uns des voleurs furent pris trois ou quatre jours après, et, pour comble de malheur, on ne trouva, dans les habits des personnes qu’ils avaient assassinées, rien qui pût apprendre à qui j’appartenais. On eut beau recourir au registre qui est toujours chargé du nom des voyageurs, cela ne servit de rien ; on sut bien par là qui ils étaient tous, à l’exception de deux personnes, d’une dame et d’un cavalier, dont le nom assez étranger n’instruisit de rien, et peut-être qu’ils n’avaient pas dit le véritable. On vit seulement qu’ils avaient pris cinq places, trois pour eux et pour une petite fille, et deux autres pour un laquais et une femme de chambre qui avaient été tués aussi.

Par tout cela ma naissance devint impénétrable, et je n’appartins plus qu’à la charité de tout le monde.

L’excès de mon malheur m’attira d’assez grands secours chez le curé où j’étais, et qui consentit, aussi bien que sa sœur, à me garder.

On venait pour me voir de tous les cantons voisins : on voulait savoir quelle physionomie j’avais, elle était devenue