Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/264

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de ne plus songer à moi. Valville à ces mots baissa la tête et soupira.

Attendez, monsieur, attendez, repris-je ; c’est vous-même que je prends pour juge dans cette occasion-ci.

Il n’y a qu’à considérer qui je suis. Je vous ai déjà dit que j’ai perdu mon père et ma mère : ils ont été assassinés dans un voyage dont j’étais avec eux, dès l’âge de deux ans ; et depuis ce temps ; voici, monsieur,. ce que je suis devenue. C’est la sœur d’un curé de campagne qui m’a élevée par compassion. Elle est venue à Paris avec moi pour une succession qu’elle n’a pas recueillie ; elle y est morte, et m’y a laissée seule sans secours dans une auberge. Son confesseur, qui est un bon religieux, m’en a tirée pour me présenter à M. de Climal, votre oncle ; M. de Climal m’a mise chez une lingère, et m’y a abandonnée au bout de trois jours ; je vous ai dit pourquoi, en vous priant de lui remettre ses présents. La lingère me dit qu’il fallait prendre mon parti ; je sortis pour informer ce religieux de mon état, et c’est en revenant de chez lui que j’entrai dans l’église de ce couvent-ci pour cacher mes pleurs qui me suffoquaient ; ma mère, qui est présente, y arriva après moi, et c’est une grâce que Dieu m’a faite. Elle me vit pleurer dans un confessionnal ; je lui fis pitié, et je suis pensionnaire ici depuis le même jour. C’est elle qui paye ma pension, qui m’a habillée, qui m’a fourni de tout abondamment, magnifiquement, avec des manières, des tendresses, des caresses qui font que je ne saurais y penser sans fondre