Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/283

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tout, sa sensibilité s’use, et je me familiarisai avec mes espérances et avec mes inquiétudes.

Me voilà donc tranquille ; il y avait cinq ou six jours que je n’avais vu ni la mère ni le fils, quand un matin on m’apporta un billet de Mme de Miran, où elle me mandait qu’elle me viendrait prendre à une heure après-midi avec son fils, pour me mener dîner chez Mme Dorsin ; son billet finissait par ces mots :

« Et surtout rien de négligé dans ton ajustement, entends-tu ? je veux que tu te pares. »

Et vous serez obéie, dis-je en moi-même en lisant sa lettre ; aussi avais-je bien l’intention de me parer, même avant que d’avoir lu l’ordre ; mais cet ordre mettait encore ma vanité bien plus à son aise ; j’allais avoir de la coquetterie par obéissance.

Quand je dis de la coquetterie, c’est qu’il y en a toujours à s’ajuster avec un peu de soin, c’est tout ce que je veux dire ; car jamais je ne me suis écartée de la décence la plus exacte dans ma parure : j’y ai toujours cherché l’honnête, et par sagesse naturelle, et par amour-propre ; oui, par amour-propre.

Je soutiens qu’une femme qui choque la pudeur perd tout le mérite des grâces qu’elle a : on ne les distingue plus à travers la grossièreté des moyens qu’elle emploie pour plaire ; elle ne va plus au cœur, elle ne peut plus même se flatter de plaire, elle débauche ; elle n’attire plus comme aimable, mais seulement comme libertine, et par là se met à peu près au niveau de la plus laide qui ne se ménagerait pas.