Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/312

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tenait, il n’y avait qu’à patienter et prendre courage.

Au sortir d’avec Valville, je montai à ma chambre, où j’allais me déshabiller et me remettre dans, mon négligé, quand il fallut aller souper. Je me laissai donc comme j’étais, et me rendis au réfectoire avec tous mes atours.

Entre les pensionnaires il y en avait une à peu près de mon âge, et qui était assez jolie pour se croire belle, mais qui se la croyait tant (je dis belle), qu’elle en était sotte. On ne la sentait occupée que de son visage, occupée avec réflexion ; elle ne songeait qu’à lui ; elle ne pouvait pas s’y accoutumer, et on eût dit, quand elle vous regardait, que c’était pour vous faire admirer ses grands yeux, qu’elle rendait fiers ou doux, suivant qu’il lui prenait fantaisie de vous en imposer ou de vous plaire.

Mais d’ordinaire elle les adoucissait rarement ; elle aimait mieux qu’ils fussent imposants que gracieux ou tendres, à cause qu’elle était fille de qualité et glorieuse.

Vous vous souvenez du discours que j’avais tenu à l’abbesse, lorsque je me présentai à elle devant Mme de Miran ; je lui avais confié l’état de ma fortune et tous mes malheurs ; et ma bienfaitrice, qui en fut si touchée, avait oublié de lui recommander le secret en me mettant chez elle. On ne songe pas à tout.

J’y avais pourtant songé, moi, dès le soir même, deux heures après que je fus dans la maison, et l’avais bien humblement priée de ne point divulguer ce