Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/313

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que je lui avais appris. Hélas ! ma chère enfant, je n’ai garde, m’avait-elle répondu. Jésus, mon Dieu ! ne craignez rien ; est-ce qu’on ne sait pas la conséquence de ces choses-là ?

Mais, soit qu’il fût déjà trop tard quand je l’en avertis, quoiqu’il n’y eût que deux heures qu’elle fût instruite, soit qu’en la conjurant de ne rien dire je lui eusse, rendu mon secret plus pesant et plus difficile à garder, et que cela n’eût servi qu’à lui faire venir la tentation de le dire, à neuf heures du matin le lendemain, j’étais, comme on dit, la fable de l’armée ; mon histoire courait tout le couvent ; je ne vis que des religieuses ou des pensionnaires qui chuchotaient aux oreilles les unes des autres en me regardant, et qui ouvraient sur moi les yeux du monde les plus indiscrets, dès que je paraissais.

Je compris bien ce qui en était cause, mais qu’y faire ? je baissais les yeux, et passais mon chemin.

Il n’y en eut pas une, au reste, qui ne me prévînt d’amitié, et qui ne me fît des caresses. Je pense que d’abord la curiosité de m’entendre parler les y engagea ; c’est une espèce de spectacle qu’une fille comme moi qui arrive dans un couvent. Est-elle grande ? est-elle petite ? comment marche-t-elle ? que dit-elle ? quel habit, quelle contenance a-t-elle ? tout en est intéressant.

Et cela finit ordinairement par la trouver encore plus aimable qu’elle ne l’est, pourvu qu’elle le soit un peu, ou plus déplaisante, pour peu qu’elle déplaise ; c’est là l’effet de ces sortes de mouvements qui