Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/364

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pas lever les yeux, et j’étais comme une personne accablée.

Monsieur de Valville, dit alors Mlle de Fare, qui jusqu’ici n’avait fait qu’écouter, expliquez-moi ce que cela signifie.

Ah ! ma chère cousine, répondit-il en embrassant ses genoux, au nom de tout ce que vous avez de plus cher, sauvez-moi la vie, il n’y va pas de moins pour moi ; je vous en conjure par toute la bonté, par toute la générosité de votre cœur. Il est vrai, mademoiselle a été quelques jours chez cette marchande ; elle a perdu son père et sa mère depuis l’âge de deux ans ; on croit qu’ils étaient étrangers ; ils ont été assassinés dans un carrosse de voiture avec nombre de domestiques à eux, c’est un fait constaté ; mais on n’a jamais pu savoir qui ils étaient ; leur suite a seulement prouvé qu’ils étaient gens de condition, voilà tout ; et mademoiselle fut retirée du carrosse dans la portière duquel elle était tombée sous le corps de sa mère ; elle a depuis été élevée par la sœur d’un curé de village, qui est morte à Paris il y a quelques mois, et qui la laissa sans secours. Un religieux la présenta à mon oncle ; c’est par hasard que je l’ai connue, et je l’adore ; si je la perds, je perds la vie. Je vous ai dit que ses parents voyageaient avec plusieurs domestiques de tout sexe ; elle est fille de qualité, on n’en a jamais jugé autrement. Sa, figure, ses grâces et son caractère en sont encore de nouvelles preuves ; peut-être même est-elle née plus que moi ; peut-être que, si elle se connaissait, je serais trop honoré de sa tendresse.