Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/410

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fils pensent l’un comme l’autre. Veut-on que je leur résiste, que je refuse ce qu’ils m’offrent, surtout quand je leur ai moi-même donné tout mon cœur, et que ce n’est ni leurs richesses ni leur rang que j’estime, mais seulement leur tendresse ? D’ailleurs ne sont-ils pas les maîtres ? Ne savent-ils pas ce qu’ils font ? Les ai-je trompés ? Ne sais-je pas que c’est trop d’honneur pour moi ? On ne m’apprendra rien là-dessus, Madame ; ainsi, au nom de Dieu, n’en parlons plus. Je suis la dernière de toutes les créatures de la terre en naissance, je ne l’ignore pas, en voilà assez. Ayez seulement la bonté de me dire, à présent, qui sont les gens qui m’ont mise ici, et ce qu’ils prétendent avec la violence avec laquelle ils en usent aujourd’hui contre moi.

Ma chère enfant, me répondit l’abbesse en me regardant avec amitié, à la place de Mme de Miran, je crois que je penserais comme elle ; j’entre tout à fait dans vos raisons ; mais ne le dites pas.

À ce discours, je lui pris la main, que je baisais ; et cette action parut lui plaire et l’attendrir.

Je suis bien éloignée de vouloir vous chagriner, ma fille, continua-t-elle ; je ne vous ai parlé comme vous venez de l’entendre qu’à cause qu’on m’en a priée, et avant que vous vinssiez je ne vous imaginais pas telle que vous êtes, il s’en faut de beaucoup. Je m’attendais à vous trouver jolie, et peut-être spirituelle ; mais ce n’était là ni l’esprit ni les grâces, et encore moins le caractère que je me figurais. Vous êtes digne de la tendresse de Mme de