Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/448

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Miran. Pour vous, madame, laissez-moi, je vous prie, parler à ma façon, et comme je crois qu’il convient. Si mademoiselle avait affaire à vous, vous seriez la maîtresse de l’appeler comme il vous plairait ; quant à moi, je suis bien aise de l’appeler mademoiselle ; je dirai pourtant Marianne quand je voudrai, et cela sans conséquence, sans blesser les égards que je crois lui devoir ; le soin que je prends d’elle me donne des droits que vous n’avez pas ; mais ce ne sera jamais que dans ce sens-là que je la traiterai aussi familièrement que vous le faites, et que vous vous figurez qu’il vous est permis de le faire. Chacun a sa manière de penser, et ce n’est pas là la mienne ; je n’abuserai jamais du malheur de personne. Dieu nous a caché ce qu’elle est, et je ne déciderai point ; je vois bien qu’elle est à plaindre ; mais je ne vois pas pourquoi on l’humilierait, l’un n’entraîne pas l’autre ; au contraire, la raison et l’humanité, sans compter la religion, nous portent à ménager les personnes qui sont dans le cas où celle-ci se trouve ; il nous répugne de profiter contre elles de l’abaissement où le sort les a jetées ; les airs de mépris ont mauvaise grâce avec elles, et leur infortune leur tient lieu de rang auprès des cœurs bien faits, principalement quand il s’agit d’une fille comme mademoiselle, et d’un malheur pareil au sien. Car enfin, madame, puisque vous êtes instruite de ce qui lui est arrivé, vous savez donc qu’on a des indices presque certains que son père et sa mère, qui furent tués en voyage lorsqu’elle n’avait que deux ou trois ans, étaient des étrangers de la première distinction ;