Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/451

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Quoi qu’il en soit, continua-t-elle ensuite, je la protège je lui ai fait du bien, j’ai dessein de lui en faire encore ; elle a besoin que je lui en fasse, et il n’y a point d’honnêtes gens qui n’enviassent le plaisir que j’y ai, qui ne voulussent se mettre à ma place. C’est de toutes les actions la plus louable que je puisse faire ; il serait honteux d’y trouver à redire, à moins qu’il n’y ait des lois qui défendent d’avoir le cœur humain et généreux ; à moins que ce ne soit offenser l’Etat que de s’intéresser, quand on est riche, à la personne la plus digne qu’on la secoure, et qu’on la venge de ses malheurs. Voilà tout mon crime ; et en attendant qu’on me prouve que c’en est un, je viens, monsieur, vous demander raison de la hardiesse qu’on a eue à mon égard, et de la surprise qu’on a faite à vous-même, aussi bien qu’à madame ; je viens chercher une fille que j’aime, et que vous aimeriez autant que moi, si vous la connaissiez, monsieur.

Elle s’arrêta là. Tout le monde se tut, et moi je pleurais en jetant sur elle des regards qui témoignaient les mouvements dont j’étais saisie pour elle, et qui émurent tous les assistants : il n’y eut que cette inexorable parente que je n’ai point nommée, qui ne se rendit point, et dont l’air paraissait toujours aussi sec et aussi révolté qu’il l’avait été d’abord.

Aimez-la, madame, aimez-la ; qui est-ce qui vous en empêche ? dit-elle en secouant la tête ; mais n’oubliez pas que vous avez des parents et des alliés qui ne doivent point en souffrir, et que du moins il n’y