Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/48

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homme se mitigeait, qu’il était plus flatteur que zélé, plus généreux que charitable ; il me paraissait tout changé.

Je vous trouve bien gênée avec moi, me disait-il ; je ne veux point vous voir dans cette contrainte-là, ma chère fille : vous me haïriez bientôt, quoique je ne vous veuille que du bien. Notre conversation avec ce religieux vous a rendue triste : le zèle de ces gens-là n’est pas consolant ; il est dur, et il faut faire comme eux. Mais moi, j’ai naturellement le cœur bon ; ainsi, vous pouvez me regarder comme votre ami, comme un homme qui s’intéresse à vous de tout son cœur, et qui veut avoir votre confiance, entendez-vous ? Je me retiens le privilège de vous donner quelques conseils, mais je ne prétends pas qu’ils vous effarouchent. Je vous dirai, par exemple, que vous êtes jeune et jolie, et que ces deux belles qualités vont vous exposer aux poursuites du premier étourdi qui vous verra, et que vous feriez mal de l’écouter, parce que cela ne vous mènerait à rien et ne mérite pas votre attention ; c’est à votre fortune à qui il faut que vous la donniez, et à tout ce qui pourra l’avancer. Je sais bien qu’à votre âge on est charmée de plaire, et vous plairez même sans y tâcher, j’en suis sûr ; mais du moins ne vous souciez point trop de plaire à tout le monde, surtout à mille petits soupirants que vous ne devez pas regarder dans la situation où vous êtes. Ce que je vous dis là n’est point d’une sévérité outrée, continua-t-il d’un air aisé en me prenant la main, que j’avais belle.