Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/50

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et d’une nommée Mlle Toinon, sa fille de boutique

Quand je serais tombée des nues, je n’aurais pas été plus étourdie que je l’étais ; les personnes qui ont du sentiment sont bien plus abattues que d’autres dans de certaines occasions, parce que tout ce qui leur arrive les pénètre ; il y a une tristesse stupide qui les prend, et qui me prit : Mme Dutour fit de son mieux pour me tirer de cet état-là.

Allons, mademoiselle Marianne, me disait-elle (car elle avait demandé mon nom), vous êtes avec de bonnes gens, ne vous chagrinez point, j’aime qu’on soit gaie ; qu’avez-vous qui vous fâche ? Est-ce que vous vous déplaisez ici ? Moi, dès que je vous ai vue, j’ai pris de l’amitié pour vous ; tenez, voilà Toinon qui est une bonne enfant, faites connaissance ensemble. Et c’était en soupant qu’elle me tenait ce discours, à quoi je ne répondais que par une inclination de tête et avec une physionomie dont la douceur remerciait sans que je parlasse. Quelquefois, je m’encourageais jusqu’à dire : Vous avez bien de la bonté ; mais, en vérité, j’étais déplacée, et je n’étais pas faite pour être là.

je sentais, dans la franchise de cette femme-là, quelque chose de grossier qui me rebutait.

Je n’avais pourtant encore vécu qu’avec mon curé et sa sœur, et ce n’était pas des gens du monde, il s’en fallait bien ; mais je ne leur avais vu que des manières simples et non pas grossières : leurs discours étaient unis et sensés ; d’honnêtes gens, vivant