Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/51

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médiocrement, pouvaient parler comme ils parlaient, et je n’aurais rien imaginé de mieux, si je n’avais jamais vu autre chose : au lieu qu’avec ces gens-ci, je n’étais pas contente, je leur trouvais un jargon, un ton brusque qui blessait ma délicatesse. Je me disais déjà que dans le monde, il fallait qu’il y eût quelque chose qui valait mieux que cela ; je soupirais après, j’étais triste d’être privée de ce mieux que je ne connaissais pas. Dites-moi d’où cela venait ? Où est-ce que j’avais pris mes délicatesses ? Étaient-elles dans mon sang ? cela se pourrait bien ; venaient-elles du séjour que j’avais fait à Paris ? cela se pourrait encore : il y a des âmes perçantes à qui il n’en faut pas beaucoup montrer pour les instruire, et qui, sur le peu qu’elles voient, soupçonnent tout d’un coup tout ce qu’elles pourraient voir.

La mienne avait le sentiment bien subtil, je vous assure, surtout dans les choses de sa vocation, comme était le monde. Je ne connaissais personne à Paris, je n’en avais vu que les rues, mais dans ces rues il y avait des personnes de toutes espèces, il y avait des carrosses, et dans ces carrosses un monde qui m’était très nouveau, mais point étranger. Et sans doute, il y avait en moi un goût naturel qui n’attendait que ces objets-là pour s’y prendre ; de sorte que, quand je les voyais, c’était comme si j’avais rencontré ce que je cherchais.