Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/59

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vous ne lui demandez que des sentiments qui vous sont justement dus ; mais lui demandez-vous d’une certaine tendresse : oh ! c’est une autre affaire ; son amour-propre vous reconnaît alors ; vous vous êtes brouillé avec lui sans retour là-dessus, il ne vous pardonnera jamais. Et c’est ainsi que j’étais avec M. de Climal.

Il est vrai que, si les hommes savaient obliger, je crois qu’ils feraient tout ce qu’ils voudraient de ceux qui leur auraient obligation : car est-il rien de si doux que le sentiment de reconnaissance, quand notre amour-propre n’y répugne point ? On en tirerait des trésors de tendresse ; au lieu qu’avec les hommes, on a besoin de deux vertus, l’une pour vous empêcher d’être indignée du bien qu’ils vous font, l’autre pour vous en imposer la reconnaissance.

M. de Climal m’avait parlé d’un habit qu’il voulait me donner, et nous sortîmes pour l’acheter à mon goût. Je crois que je l’aurais refusé, si j’avais été bien convaincue qu’il avait de l’amour pour moi ; car j’aurais eu un dégoût, ce me semble, invincible à profiter de sa faiblesse, surtout ne la partageant pas ; car, quand on la partage, on ajuste cela ; on s’imagine qu’il y a beaucoup de délicatesse à n’être point délicat là-dessus ; mais je doutais encore de ce qu’il avait dans l’âme ; et supposé qu’il n’eût que de l’amitié, c’était donc une amitié extrême, qui méritait assurément le sacrifice de toute ma fierté. Ainsi j’acceptai l’offre de l’habit à tout hasard.

L’habit fut acheté : je l’avais choisi ; il était noble