Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/58

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Cependant, je ne regardai pas l’idée qui m’en vint sur-le-champ, comme une chose encore bien sûre ; mais je devais bientôt en avoir le cœur net ; et je commençai toujours, en attendant, par être un peu plus forte et plus à mon aise avec lui. Mes soupçons me défirent presque tout à fait de cette timidité qu’il m’avait tant reprochée ; je crus que, s’il était vrai qu’il m’aimât, il n’y avait plus tant de façons à faire avec lui, et que c’était lui qui était dans l’embarras, et non pas moi. Ce raisonnement coula de source : au reste, il paraît fin, et ne l’est pas ; il n’y a rien de si simple, on ne s’aperçoit pas seulement qu’on le fait.

Il est vrai que ceux contre qui on raisonne comme cela, n’ont pas grand retour à espérer de vous ; cela suppose qu’en fait d’amour, on ne se soucie guère d’eux : aussi de ce côté-là, M. de Climal m’était-il parfaitement indifférent, et même de cette indifférence qui va devenir haine si on la tourmente ; peut-être eût-il été ma première inclination, si nous avions commencé autrement ensemble ; mais je ne l’avais connu que sur le pied d’un homme pieux, qui entreprenait d’avoir soin de moi par charité ; et je ne sache point de manière de connaître les gens qui éloigne tant de les aimer de ce qu’on appelle amour : il n’y a plus de sentiment tendre à demander à une personne qui n’a fait connaissance avec vous que dans ce goût-là. L’humiliation qu’elle a soufferte vous a fermé son cœur de ce côté-là ; ce cœur en garde une rancune que lui-même il ne sait pas qu’il a, tant que