Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/67

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choqua-t-il autant que l’insulte de l’autre, et les larmes m’en vinrent aux yeux. Mme Dutour en fut touchée, sans se douter de sa maladresse qui les faisait couler : son attendrissement me fit trembler, je craignis encore quelque nouvelle réprimande à Toinon, et je me hâtai de la prier de ne dire mot.

Toinon, de son côté, me voyant pleurer, se déconcerta de bonne foi ; car elle n’était pas méchante, et son cœur ne voulait fâcher personne, sinon qu’elle était vaine, parce qu’elle s’imaginait que cela était décent. Mais comme elle n’avait pas un habit neuf aussi bien que moi, peut-être qu’elle avait cru qu’en place de cela il fallait dire quelque chose, et redresser un peu son esprit, comme elle redressait sa figure.

Voilà d’où me vint la belle apostrophe qu’elle me fit, dont elle me demanda très sincèrement excuse ; et comme je vis que ces bonnes gens n’entendaient rien à ma fierté, ni à ces délicatesses, et qu’ils ne savaient pas le quart du mal qu’ils me faisaient, je me rendis de bonne grâce à leurs caresses ; et il ne fut plus question que de mon habit, qu’on voulut voir avec une curiosité ingénue, qui me fit venir aussi la curiosité d’éprouver ce qu’elles en diraient.

J’allai donc le chercher sans rancune, et avec la joie de penser que je le porterais bientôt. Je prends le paquet tel que je l’avais mis dans la chambre, et je l’apporte. La première chose qu’on vit en le défaisant, ce fut ce beau linge dont on avait pris tant de peine à sauver l’achat, qui avait coûté la façon d’un