Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/76

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pour jouir de ma parure ; il me prenait des palpitations en songeant combien j’allais être jolie : la main m’en tremblait à chaque épingle que j’attachais ; je me hâtais d’achever sans rien précipiter pourtant : je ne voulais rien laisser d’imparfait. Mais j’eus bientôt fini, car la perfection que je connaissais était bien bornée ; je commençais avec des dispositions admirables, et c’était tout…

Vraiment, quand j’ai connu le monde, j’y faisais bien d’autres façons. Les hommes parlent de science et de philosophie ; voilà quelque chose de beau, en comparaison de la science de bien placer un ruban, ou de décider de quelle couleur on le mettra !

Si on savait ce qui se passe dans la tête d’une coquette en pareil cas, combien son âme est déliée et pénétrante ; si on voyait la finesse des jugements qu’elle fait sur les goûts qu’elle essaye, et puis qu’elle rebute, et puis qu’elle hésite de choisir, et qu’elle choisit enfin par pure lassitude ; car souvent elle n’est pas contente, et son idée va toujours plus loin que son exécution ; si on savait tout ce que je dis là, cela ferait peur, cela humilierait les plus forts esprits, et Aristote ne paraîtrait plus qu’un petit garçon. C’est moi qui le dis, qui le sais à merveille ; et qu’en fait de parure, quand on a trouvé ce qui est bien, ce n’est pas grand chose, et qu’il faut trouver le mieux