Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/8

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

individus seuls périssent ; la race est indestructible. C’est au reste le sort de tous les ouvrages qui appartiennent au goût, à l’imagination, à l’art d’écrire, et auxquels il ne manque le plus souvent que le goût, le style et l’imagination.

C’est par la réunion de ces qualités que vivent au contraire les bons ouvrages environnés d’une gloire qui s’accroît avec le temps, et qui ne finira qu’avec lui. C’est là ce qui a consacré le succès de Marianne c’est là ce qui lui assure sa place dans le très-petit nombre de romans qui honorent la littérature française. Celui-ci, sans doute, n’est point exempt de fautes ; mais, comme j’en ai averti dans la Notice générale, la prévention en a long-temps exagéré le nombre et l’importance. Peut-être même trouvera-t-on qu’elles ont été relevées dans cette édition avec une sévérité minutieuse, tandis qu’il eût été si naturel d’employer à les dissimuler une indulgence qui aurait trouvé son excuse dans le titre d’éditeur. Mais pour quelques taches légères, que de riches compensations offertes à l’esprit d’un lecteur attentif ! Quel intérêt dans le récit ! quelle étonnante variété de caractères ! quelle simplicité dans les ressorts qui mettent en jeu tant de passions, d’habitudes et d’existences opposées. On a critiqué le style de Marivaux ; mais si le style est l’art de rendre ses pensées avec clarté, avec précision, avec élégance, j’ose croire que peu d’ouvrages dans notre langue peuvent mieux que Marianne mériter à leur auteur le titre d’excellent écrivain.

On a reproché à Marivaux d’avoir multiplié les réflexions ; je conviens que, surtout dans la première partie, ce reproche n’est pas entièrement injuste ; et l’on sera bien aise de trouver ici l’apologie que Marivaux crut se devoir à lui-même sur cet article, lorsque pour la première fois, en 1729, il publia la seconde partie de Marianne.