Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/82

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Il y avait aussi nombre de jeunes cavaliers bien faits, gens de robe et d’épée, dont la contenance témoignait qu’ils étaient bien contents d’eux, et qui prenaient sur le dos de leurs chaises de ces postures aisées et galantes qui marquent qu’on est au fait des bons airs du monde. Je les voyais tantôt se baisser, s’appuyer, se redresser ; puis sourire, puis saluer à droite et à gauche, moins par politesse ou par devoir que pour varier les airs de bonne mine et d’importance, et se montrer sous différents aspects.

Et moi, je devinais la pensée de toutes ces personnes-là sans aucun effort ; mon instinct ne voyait rien là qui ne fût de sa connaissance, et n’en était pas plus délié pour cela ; car il ne faut pas s’y méprendre, ni estimer ma pénétration plus qu’elle ne vaut.

Nous avons deux sortes d’esprits, nous autres femmes : Nous avons d’abord le nôtre, qui est celui que nous recevons de la nature, celui qui nous sert à raisonner, suivant le degré qu’il a, qui devient ce qu’il peut, et qui ne sait rien qu’avec le temps.

Et puis nous en avons encore un autre, qui est à part du nôtre, et qui peut se trouver dans les femmes les plus sottes. C’est l’esprit que la vanité de plaire nous donne, et qu’on appelle, autrement dit, la coquetterie.

Oh ! celui-là, pour être instruit, n’attend pas le nombre des années : il est fin dès qu’il est venu ; dans les choses de son ressort, il a toujours la théorie de ce qu’il voit