Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 6.djvu/88

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Mais m’écarterai-je toujours ? Je crois qu’oui ; je ne saurais m’en empêcher : les idées me gagnent, je suis femme, et je conte mon histoire ; pesez ce que je vous dis là, et vous verrez qu’en vérité je n’use presque pas des privilèges que cela me donne.

Où en étais-je ? À ma coiffe, que je raccommodais quelquefois dans l’intention que j’ai dite.

Parmi les jeunes gens dont j’attirais les regards, il y en eut un que je distinguai moi-même, et sur qui mes yeux tombaient plus volontiers que sur les autres.

J’aimais à le voir, sans me douter du plaisir que j’y trouvais ; j’étais coquette pour les autres, et je ne l’étais pas pour lui ; j’oubliais à lui plaire, et ne songeais qu’à le regarder.

Apparemment que l’amour, la première fois qu’on en prend, commence avec cette bonne foi-là, et peut-être que la douceur d’aimer interrompt le soin d’être aimable.

Ce jeune homme, à son tour, m’examinait d’une façon toute différente de celle des autres ; elle était plus modeste, et pourtant plus attentive : il y avait quelque chose de plus sérieux qui se passait entre lui et moi. Les autres applaudissaient ouvertement à mes charmes, il me semblait que celui-ci les sentait ; du moins, je le soupçonnais quelquefois, mais si confusément, que je n’aurais pu dire ce que je pensais de lui, non plus que ce que je pensais de moi.

Tout ce que je sais, c’est que ses regards m’embrassaient, que j’hésitais de les lui