Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/105

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maison, et elles y dînaient sans me faire aucune amitié, sans prendre garde à mes pleurs, sans me consoler, et si elles me parlaient, c’était d’un ton distrait et sec.

Mme de Tresle même s’en apercevait ; elle en était touchée, et les en reprenait avec une douceur que je remarquai aussi, qui me contristait, et qu’elle n’aurait pas eue autrefois. Il semblait qu’elle voulût les gagner, qu’elle leur demandait grâce pour moi, et tout cela me frappait comme une chose de mauvais augure, comme une nouveauté qui me menaçait de quelque disgrâce à venir, de quelque situation fâcheuse ; et si je ne raisonnais pas là-dessus aussi distinctement que je vous le dis, du moins en prenais-je une certaine épouvante qui me rendait muette, humble et timide. Vous savez bien qu’on a du sentiment avant que d’avoir de l’esprit ; sans compter que Mme de Tresle, quand ses filles étaient parties, m’éclairait encore par ses manières.

Elle m’appelait, me faisait avancer, me prenait les mains, me parlait avec une tendresse plus marquée que de coutume ; on eût dit qu’elle voulait me rassurer, m’ôter mes alarmes, et me tirer de cette humiliation d’esprit dans laquelle elle sentait bien que j’étais tombée.

Quelques jours auparavant, il était venu une dame de ses voisines, son intime aime, à qui elle voulut parler en particulier. Il y avait dans sa chambre un petit cabinet où je passai, et je ne sais par quelle curiosité tendre et inquiète je m’avisai d’écouter leur conversation.