Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/177

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quittai ma chambre pour la rejoindre. J’avais pleuré, et il reste toujours quelque petite impression de cela sur le visage.

D’où viens-tu, ma nièce ? me dit-elle, tu as les yeux bien rouges ! je ne sais, lui répondis-je ; c’est peut-être de ce que je me suis assoupie un quart d’heure. Non, tu n’as pas l’air d’avoir dormi, reprit-elle en secouant la tête ; tu as pleuré.

Moi ! ma tante, et de quoi voulez-vous que je pleure ? m’écriai-je avec cet air dégagé que j’affectais. De mon âge et de mes infirmités, me dit-elle en souriant. Comment ! de vos infirmités ! Pensez-vous qu’un petit dérangement de santé qui se passera me fasse peur, avec le tempérament que vous avez ? lui répondis-je d’un ton qui allait me trahir si je ne m’étais pas arrêtée.

Je suis mieux aujourd’hui ; mais on n’est pas éternelle, mon enfant, et il y a longtemps que je vis, me dit-elle en cachetant un paquet.

À qui écrivez-vous donc, madame ? lui dis-je, sans répondre à sa réflexion. À personne, reprit-elle ; ce sont des mesures que je viens de prendre pour toi. Je n’ai plus de fils ; depuis près de vingt ans qu’on n’a entendu parler du mien ; je le crois mort ; et quand il vivrait, ce serait la même chose pour moi ; non que j’aie encore aucun ressentiment contre lui ; s’il vit, je prie Dieu de le bénir et de le rendre honnête homme ; mais ni l’honneur de la famille, ni la religion, ni les bonnes mœurs qu’il a violées, ne me permettent pas de lui laisser mon bien.