Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/199

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Pendant qu’elle parlait, le père et le fils, tous deux les yeux en pleurs, et dans la posture du monde la plus suppliante, attendaient ma réponse.

Que faites-vous donc là, madame ? m’écriai-je en l’embrassant, et pénétrée jusqu’au fond de l’âme de voir autour de moi cette famille infortunée qui me rendait l’arbitre de son sort, et ne me sollicitait qu’en tremblant d’avoir pitié de sa misère.

Que faites-vous donc, madame ? levez-vous, lui criai-je ; vous n’avez point de meilleure amie que moi ; est-il nécessaire de vous abaisser ainsi devant moi pour me toucher ? Pensez-vous que je tienne à votre bien ? Est-il à moi dès que vous vivez ? Je n’en ai reçu la donation qu’avec peine, et j’y renonce avec mille fois plus de plaisir qu’il ne m’en aurait jamais fait.

Je tendais en même temps une main au père, qui se jeta dessus, aussi bien que son fils, dont l’action, plus tendre et plus timide, me fit rougir, toute distraite que j’étais par un spectacle aussi attendrissant.

À la fin, la mère, qui était jusque-là restée dans mes bras, releva tout à fait et me laissa libre. J’embrassai alors M. Dursan, qui ne put prononcer que des mots sans aucune suite, qui commençait mille remerciements, et n’en achevait pas un seul.

Je jetai les yeux sur le fils après avoir quitté le père. Ce fils était mon parent, et dans de pareilles circonstances, rien ne devait m’empêcher de lui donner les mêmes témoignages d’amitié qu’à M. Dursan ; et cependant je n’osais pas. Ce parent-là était différent, je