Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1825, tome 7.djvu/530

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vous le donne pour cela, prenez-le de même et mangeons.

Comme vous voudrez, reprit-il : mais c’est qu’on aime à être avec les gens de sa sorte ; au surplus, je ferai comme vous, commère : on ne saurait faillir en vous imitant.

Ce petit dialogue au reste alla si vite, qu’à peine eûmes-nous le temps de nous reconnaître, Mlle Habert et moi ; chaque détail nous assommait, et le temps se passe à rougir en pareille occasion. Imaginez-vous ce que c’est que de voir toute notre histoire racontée, article par article, par cette femme qui ne devait en parler qu’à Mlle Habert, qui se tue de dire : Je ne dirai mot, et qui conte tout, en disant toujours qu’elle ne contera rien.

Pour moi, j’en fus terrassé, je restai muet, rien ne me vint, et ma future n’y sut que se mettre à pleurer en se renversant dans le fauteuil où elle était assise.

Je me remis pourtant au discours que tint notre témoin, quand il dit qu’on aimait à être avec les gens de sa sorte.

Cet honnête convive n’avait pas une mine fort imposante, malgré un habit de drap neuf qu’il avait pris, malgré une cravate bien blanche, bien longue, bien empesée et bien roide, avec une perruque toute neuve aussi, qu’on voyait que sa tête portait avec respect, et dont elle était plus embarrassée que couverte, parce qu’apparemment elle n’y était pas encore familiarisée, et que cette perruque n’avait peut-être servi que deux ou trois dimanches.