Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1827, tome 8.djvu/127

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jusqu’à mon dernier sol ; mais c’est une histoire à part que je vous conterai si nous avons le temps.

Mon démon (c’est de ma femme dont je parle) était parente d’un de mes juges : je la connaissais, j’allai la prier de solliciter pour moi ; et comme une visite en attire une autre, je lui en rendis de si fréquentes, qu’à la fin je la voyais tous les jours sans trop savoir pourquoi, par habitude : nos familles se convenaient, elle avait du bien ce qui m’en fallait ; le bruit courut que je l’épousais, nous en rîmes tous deux. Il faudra pourtant nous voir moins souvent pour faire cesser ce bruit-là, à la fin on dirait pis, me dit-elle en riant. Eh pourquoi ? repris-je : j’ai envie de vous aimer, qu’en dites-vous ? le voulez-vous bien ? Elle ne me répondit ni oui ni non.

J’y retournai le lendemain, toujours en badinant de cet amour que je disais vouloir prendre, et qui, à ce que je crois, était tout pris, ou qui venait sans que je m’en aperçusse ; je ne le sentais pas ; je ne lui ai jamais dit : Je vous aime. On n’a jamais rien vu d’égal à ce misérable amour d’habitude qui n’avertit point, et qui me met encore en colère toutes les fois que j’y