Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1827, tome 8.djvu/154

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d’amour ni d’aucun sentiment approchant, il n’en était pas question dans mon esprit ; je n’y songeais pas.

Je m’applaudissais même de mon affection pour elle, comme d’un attendrissement louable, comme d’une vertu, et il y a de la douceur à se sentir vertueux ; de sorte que je suivis ces dames avec une innocence d’intention admirable, et en me disant intérieurement : Tu es un honnête homme.

Je remarquai que la mère dit quelques mots à part à l’hôtesse, pour ordonner sans doute quelque apprêt ; je n’osai lui montrer que je soupçonnais son intention, ni m’y opposer, j’eus peur que ce ne fût pas savoir vivre.

Un quart d’heure après on nous servit, et nous nous mîmes à table.

Plus je regarde monsieur, disait la mère, et plus je lui trouve une physionomie digne de ce qu’il a fait chez M. de Fécour. Eh ! mon Dieu, madame, lui répondis-je, qui est-ce qui n’en aurait pas fait autant que moi, en voyant madame dans la douleur où elle était ? Qui est-ce qui ne voudrait pas la tirer de peine ? Il est bien triste de ne pouvoir rien, quand on rencontre des personnes dans l’affliction ; et surtout des personnes aussi estimables qu’elle l’est. Je n’ai de ma vie été si touché que ce matin, j’aurais pleuré de bon cœur si je ne m’en étais pas empêché.