Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1827, tome 8.djvu/160

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Il y a trois ans que mon mari s’attacha à moi, reprit-elle : c’était un autre gentilhomme de nos voisins. Bon ! s’écria-t-il là-dessus, le voilà bien avancé, avec sa noblesse : après ?

Comme on me trouvait alors quelques agréments... Oui-da, dit-il, on avait raison, ce n’est pas ce qui vous manque ; oh ! vous étiez mignonne, et une des plus jolies filles du canton, j’en suis sûr. Eh bien ?

J’étais en même temps recherchée, dit-elle, par un riche bourgeois d’Orléans.

Ah ! passe pour celui-là, reprit-il encore, voilà du solide ; c’était ce bourgeois-là qu’il fallait prendre.

Vous allez voir, monsieur, pourquoi je ne l’ai pas pris : il était bien fait, je ne le haïssais pas, non que je l’aimasse ; je le souffrais seulement plus volontiers que le gentilhomme, qui avait pourtant autant de mérite que lui ; et comme ma mère, qui était la seule dont je dépendais alors, car mon père était mort ; comme, dis-je, ma mère me laissait le choix des deux, je ne doute pas que ce léger sentiment de préférence que j’avais pour le bourgeois ne m’eût enfin déterminée en sa faveur, sans un accident qui me fit tout d’un coup pencher du côté de son rival.

On était à l’entrée de l’hiver, et nous nous promenions un jour, ma mère et moi, le long d’une forêt avec ces deux messieurs ; je m’étais un peu écartée, je ne sais pour quelle bagatelle à laquelle je m’amusais dans cette campagne, quand un loup furieux, sorti de la forêt, vint à moi en me poursuivant.

Jugez de ma frayeur ; je me sauvai vers ma compagnie