Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1827, tome 8.djvu/203

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et à cause de cette pieuse tendresse qu’elle avait pour moi.

Je crois pourtant que je l’aurais aimée davantage si je n’avais été que son amant (j’appelle aimer d’amour), mais quand on a d’aussi grandes obligations à une femme que je lui en avais, en vérité, ce n’est pas avec de l’amour qu’un bon cœur les paie, il se pénètre de sentiments plus sérieux, il sent de l’amitié et de la reconnaissance ; aussi en étais-je plein, et je pense que l’amour en souffrait un peu.

Quand je serais revenu du plus long voyage, Mme de la Vallée ne m’aurait pas revu avec plus de joie qu’elle en marqua. Je la trouvai priant Dieu pour mon heureux retour, et il n’y avait pas plus d’une heure, à ce qu’elle me dit, qu’elle était revenue de l’église, où elle avait passé une partie de l’après-dînée, toujours à mon intention ; car elle ne parlait plus à Dieu que de moi seul, et à la vérité, c’était toujours lui parler pour elle dans un autre sens.

Le motif de ses prières, quand j’y songe, devait pourtant être quelque chose de fort plaisant, je suis sûr qu’il n’y en avait pas une où elle ne dît : Conservez-moi mon mari, ou bien : Je vous remercie de me l’avoir donné ; ce qui, à le bien rendre, ne signifiait autre chose, sinon : Mon Dieu, conservez-moi les douceurs que vous m’avez procurées par le saint mariage, ou : Je vous rends mes actions de grâces de ces douceurs que je goûte en tout bien et tout honneur par votre sainte volonté, dans l’état où vous m’avez mise.

Et jugez combien de pareilles prières étaient ferventes ; les