Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1827, tome 8.djvu/46

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j’ai obligation comme à vous, madame, que j’aime plus que toutes les autres.

Prenez garde, me dit-elle, je parle d’amour, et vous n’en avez pas pour ces personnes-là, non plus que pour moi ; si vous nous aimez, c’est par reconnaissance, et non pas à cause que nous sommes aimables. Quand les personnes sont comme vous, c’est à cause de tout, lui repartis-je ; mais ce n’est pas à moi à le dire. Oh ! dites, mon enfant, dites, reprit-elle, je ne suis ni sotte ni ridicule, et pourvu que vous soyez de bonne foi, je vous le pardonne.

Pardi, de bonne foi ; répondis-je, si je ne l’étais pas, je serais donc bien difficile. Doucement pourtant, me dit-elle, en se mettant le doigt sur la bouche, ne dites cela qu’à moi, au moins, car on en rirait, mon enfant, et d’ailleurs, vous me brouilleriez avec Mlle Habert, si elle le savait.

Je m’empêcherais bien de le dire, si elle était là, repris-je. Vraiment c’est que ces vieilles sont jalouses, et que le monde est méchant, ajouta-t-elle en achevant sa lettre, et il faut toujours se taire.

Nous entendîmes alors du bruit dans une chambre prochaine.

N’y aurait-il pas là quelque domestique qui nous écoute ? dit-elle en pliant sa lettre. J’en serais fâchée ; sortons. Rendez ce billet à Mlle Habert, dites-lui que je suis son amie, entendez-vous, et dès que vous serez marié, venez m’en informer ici où je demeure ; mon nom est au bas du billet que j’ai écrit ; mais ne venez que sur le soir, je vous donnerai ces