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LE SPECTATEUR FRANÇAIS



PREMIÈRE FEUILLE.



Lecteur, je ne veux point vous tromper, et je vous avertis d’avance que ce n’est point un auteur que vous allez lire[1]. Un auteur est un homme à qui, dans son loisir, il prend une envie vague de penser sur une ou plusieurs matières, et l’on pourrait appeler cela, réfléchir à propos de rien. Ce genre de travail nous a souvent produit d’excellentes choses, j’en conviens ; mais, pour l’ordinaire, on y sent plus de souplesse d’esprit que de naïveté et de vérité. Du moins est-il vrai de dire qu’il y a tou-

  1. Je vous avertis d’avance que ce n’est point un auteur que vous allez lire ici. Marivaux annonce, par ce peu de mots, qu’il ne suivra point de marche méthodique dans la composition des feuilles de son Spectateur, et qu’il donnera ses réflexions comme elles lui viendront à l’esprit ; mais dans ce désordre apparent l’art sera d’autant plus nécessaire qu’il devra n’y point paraître, et Marivaux sera encore auteur, quoiqu’il essaie de récuser ce titre. Au reste, l’écrivain auquel on doit Marianne et le Jeu de l’Amour et du Hasard, avait moins que personne le droit de médire de l’art, et il a été puni aussitôt de son ingratitude par le défaut de justesse et de précision que l’on remarque dans son parallèle entre un auteur de profession et je ne sais quel être imaginaire qui est censé écrire un ouvrage, et un ouvrage philosophique, machinalement et sans avoir rien de ce qui caractérise un auteur.