Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1830, tome 9.djvu/16

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jours je ne sais quel goût artificiel dans la liaison des pensées auxquelles on s’excite. Car enfin, le choix de ces pensées est alors purement arbitraire, et c’est là réfléchir en auteur. Ne serait-il pas plus curieux de nous voir penser en hommes ? En un mot, l’esprit humain, quand le hasard des objets ou l’occasion l’inspire, ne produirait-il pas des idées plus sensibles et moins étrangères à nous, qu’il n’en produit dans cet exercice forcé qu’il se donne en composant ?

Pour moi, ce fut toujours mon sentiment ; ainsi je ne suis point auteur, et j’aurais été, je pense, fort embarrassé de le devenir. Quoi ! donner la torture à son esprit pour en tirer des réflexions qu’on n’aurait point, si l’on ne s’avisait d’y tâcher ! Cela me passe ; je ne sais point créer, je sais seulement surprendre en moi les pensées que le hasard me fait naître, et je serais fâché d’y mettre rien du mien. Je n’examine pas si celle-ci est plus fine, si celle-là l’est moins ; car mon dessein n’est de penser ni bien ni mal, mais seulement de recueillir fidèlement ce qui me vient d’après le tour d’imagination que me donnent les choses que je vois ou que j’entends ; et c’est de ce tour d’imagination, ou pour mieux dire, de ce qu’il produit, que je voudrais que les hommes nous rendissent compte, quand les objets les frappent.

Peut-être, dira-t-on, ce qu’ils imagineraient alors, nous ennuierait-il[1]. Et moi, je n’en crois rien. Se-

  1. Peut-être, dira-t-on, ce qu’ils imagineraient alors, nous en-