Page:Marivaux - Œuvres complètes, édition Duviquet, 1830, tome 9.djvu/20

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prestiges se dissiperaient, et la nature soulevée, en dépit de toutes vos chimères, vous ferait sentir qu’un homme, quel qu’il soit, est votre semblable. Vous vous amusez, dans un auteur, des traits ingénieux qu’il emploie pour vous peindre. Le langage de l’homme en question vous corrigerait ; son cœur, par ses gémissemens, trouverait la clef du vôtre ; il y aurait dans ses sentimens une convenance infaillible avec les sentimens d’humanité dont vous êtes encore capables, et que font taire vos illusions.

Je conclus donc, du plus ou du moins, en suivant mon principe ; oui, je préférerais toutes les idées fortuites, que le hasard nous donne, à celles que la recherche la plus ingénieuse pourrait nous fournir dans le travail. Enfin, c’est ainsi que je pense, et j’ai toujours agi conséquemment ; je suis né de manière que tout me devient une matière de réflexion ; c’est comme une philosophie de tempérament que j’ai reçue, et que le moindre objet met en exercice. Je ne destine d’avance aucun caractère à mes idées ; c’est le hasard qui leur donne le ton ; de là vient qu’une bagatelle me jette quelquefois dans le sérieux, pendant que l’objet le plus grave me fait rire ; et quand j’examine après le parti que mon imagination a pris, je vois souvent qu’elle ne s’est point trompée.

Quoi qu’il en soit, je souhaite que mes réflexions puissent être utiles. Peut-être le seront-elles, et ce n’est que dans cette vue que je les donne, et non pour éprouver si l’on me trouvera de l’esprit. Si j’en ai, je crois en vérité que personne ne le sait ; car