Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

philosophe à la suite de Voltaire ou un mendiant comme l’abbé Robbé, le théâtre était encore le moyen le plus facile. Au théâtre du moins, Marivaux pourra tourner tout à l’aise et avec mille évolutions ingénieuses autour de ce bel et vif esprit que le ciel lui a départi. Il se gardera bien de faire du théâtre une chaire ou une école pour prêcher et pour enseigner à la façon des révolutionnaires ou des docteurs ; sa mission n’est pas là. Il serait désolé de parler aux passions politiques de l’auditoire, de faire de son parterre une mer agitée, et de réussir à force de sophismes et d’allusions. Bien plus, la grande arène dramatique, le Théâtre-Français, lui fait peur. Il ne se sent pas de force à lutter contre les calmes chefs-d’œuvre d’autrefois, non plus qu’à lutter, à force de turbulence, avec les œuvres modernes. Ce grand théâtre, ces grands tragédiens, ces illustres comédiennes, ces gentilshommes de la chambre, ce café Procope, ces jalousies, ces rivalités, ces critiques forcenées, la démence de tous ces amours-propres ameutés contre le succès, tout cela fait peur à ce galant homme. Mais en revanche il adoptera très volontiers un théâtre plus modeste ; le Théâtre-Italien, par exemple, où peut-être lui pardonnera-t-on ses succès et sa gloire, à côté d’Arlequin et de Colombine. Eh quoi ! dites-vous, Marivaux au Théâtre-Italien ? quel dommage ! Ne savez-vous donc pas, messieurs qui plaignez Marivaux, qu’à cette heure même l’auteur de la Métromanie, et l’auteur du Gil Blas écrivent pour le théâtre de la foire ? Laissez donc Marivaux mettre la bride sur le cou de son esprit ; il n’est rien moins qu’orgueilleux, il sait très bien ce qu’il peut oser : le Misanthrope, le Tartuffe, les Femmes savantes, l’Avare, tous les grands caractères de la grande comédie, il y renonce très volontiers. Il sait bien qu’après les