Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/29

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veille ? Nous sommes dans le monde courant de chaque jour, avec les grands seigneurs, avec les bourgeois, avec les gens du peuple. Julie, sans être belle, est une brune fort aimable ; c’est un de ces visages de goût dont les traits irréguliers n’en valent que mieux pour n’être pas beaux. Lucinde est une coquette badine ; quand un amant lui plaît elle n’y sait d’autre façon que de l’aimer, et de l’oublier sans peine quand il l’oublie. Eugénie au contraire est d’un caractère sérieux : c’est une femme dont le cœur est tendre, neuf et sage, et qui paraît toujours avoir regardé l’amour comme un péril. Tels sont les caractères que Marivaux dessine au courant de la plume. Quant aux personnages plus prononcés, aux gens qui ont un nom, vous les reconnaissez tous pour les avoir rencontrés autour de Marianne. Madame de Miran, qui a l’air si bon qu’elle en paraît moins belle : aussi a-t-elle eu peu d’amants, mais beaucoup d’amis. C’est une physionomie plus louable que séduisante. Elle avait plus de vertu morale que de vertu chrétienne. Madame d’Orsin est beaucoup plus jeune ; c’est une beauté qui se déguise en grâce, et cependant elle aime mieux que l’on pense bien de sa raison que de ses charmes. Mademoiselle Surville est une petite personne d’environ quinze ans, assez jolie pour se croire belle, mais qui se croit si belle qu’elle en est sotte. Madame de Far est une petite femme brune, assez ronde, très laide, qui a le visage large et carré, avec de petits yeux noirs toujours remuants, toujours occupés à regarder, et qui cherche de quoi fournir à l’amusement d’une âme vive. Regardez cependant mademoiselle de Far, jamais jeunesse n’a tant paré personne ; il n’en fut jamais de si agréable, de si remuante à l’œil que la sienne ; elle possédait