Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/380

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n’ai pu douter ; bien plus, madame de Miran sait qu’il m’aime et que je l’aime aussi ; elle sait qu’il veut m’épouser, et, malgré mes malheurs, consent elle-même à notre mariage, qui doit se faire au premier jour, qui a été retardé par hasard, et qui peut-être ne se fera plus ; j’ai du moins lieu d’en désespérer par la conduite que Valville tient actuellement avec moi.

Mademoiselle Varthon ne m’interrompait plus, écoutait d’un air morne, baissait la tête, et même ne me regardait pas ; je ne la voyais que de côté ; et cette contenance qu’elle avait, je l’attribuais à la simple surprise que lui causait mon récit.

Vous savez de quel danger je sors, continuai-je ; je viens d’échapper à la mort ; avant ma maladie, jamais sa mère ne m’écrivait le moindre billet qu’il n’en joignît un au sien, ou qu’il ne m’écrivît quelque chose dans sa lettre. Et ce même homme qui m’a accoutumée à le voir si tendre et si attentif, lui qui a pensé me perdre, qui a dû être si alarmé de l’état où j’étais, lui qu’à peine j’aurais cru assez fort pour supporter des frayeurs sur mon compte, qui a dû être si transporté de joie de me voir hors de péril, croiriez-vous, mademoiselle, que je suis encore à recevoir de ses nouvelles, qu’il ne m’a pas écrit le moindre petit mot, lui qui m’aimait tant, pas un seul billet ? Cela est-il naturel ? Que veut-il que je pense, et que penseriez-vous à ma place ?

Je m’arrêtai là-dessus un moment, mademoiselle Varthon aussi ; mais elle me laissait toujours un peu derrière elle, restait muette, et ne retournait pas la tête.

Pas une lettre ! répétai-je ; lui qui m’en a tant prodigué dans des occasions moins pressantes ; encore une fois, le croiriez-vous ? Est-ce que sa tendresse diminue ? est-il inconstant ? est-ce que je perds son cœur, au lieu de la vie que j’aimerais mieux avoir perdue ? Mon Dieu, que je suis agitée ! Mais, dites-moi, mademoiselle, il me vient une chose dans l’esprit, ne serait-il pas malade ? Madame de Miran, qui sait que je l’aime, ne me le cacherait-elle point ? Elle m’aime beaucoup aussi, elle peut avoir peur de m’af-