Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/381

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fliger. N’auriez-vous pas la même bonté qu’elle ? Cette visite que vous dites avoir reçue de M. de Valville, ne vous aurait-on pas engagée à la feindre, pour m’empêcher de soupçonner la vérité ? Car il me paraît impossible qu’il soit si négligent, et je vous assure que je serais moins affligée de le savoir malade : il est jeune, il en reviendra, mademoiselle, au lieu que, s’il était inconstant, il n’y aurait plus de remède ; ainsi ce dernier motif d’inquiétude est pour moi bien plus cruel que l’autre. Avouez-moi donc sa maladie, je vous en conjure ; vous me tranquilliserez ; avouez-la, de grâce, je serai discrète. Elle se taisait.

Alors, impatientée de son silence, je l’arrêtai par le bras, et me mis vis-à-vis d’elle pour l’obliger à me parler.

Mais jugez de mon étonnement quand, pour toute réponse, je n’entendis que des soupirs, et que je ne vis qu’un visage baigné de pleurs.

Ah ! Seigneur, m’écriai-je en pâlissant moi-même ; vous pleurez, mademoiselle ; qu’est-ce que cela signifie ? Et je lui demandais ce que mon cœur devinait déjà ; oui, j’en eus tout d’un coup un pressentiment, j’ouvris les yeux ; tout ce qui s’était passé pendant son évanouissement me revint dans l’esprit, et m’éclaira.

Nous étions alors près d’un fauteuil, dans lequel elle se jeta ; je me mis auprès d’elle, et je pleurais aussi.

Achevez, lui dis-je, ne me déguisez rien, ce ne serait pas la peine, je crois vous entendre. Où avez-vous vu monsieur de Valville ? L’indigne ! Est-il possible qu’il ne m’aime plus ?

Hélas ! ma chère Marianne, me répondit-elle, que n’ai-je su plus tôt tout ce que vous venez de me dire !

Eh bien ! insistai-je, après, parlez franchement ; est-ce que vous m’avez ravi son cœur ? Dites donc qu’il m’en coûte le mien, répondit-elle.

Quoi ! criai-je encore, il vous aime donc, et vous l’aimez ? Que je suis malheureuse ! Nous sommes toutes deux à plaindre, me dit-elle ; il ne