Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/383

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tendre ; vous avez le cœur trop bon pour être injuste, et vous l’êtes ; vous allez en juger par ma sincérité.

Je n’avais jamais vu Valville avant la faiblesse dans laquelle je tombai au départ de ma mère ; vous savez qu’il me secourut avec empressement.

Dès que je fus revenue à moi, le premier objet qui me frappa, ce fut lui, qui était à mes genoux ; il me tenait la main. Je ne sais si vous remarquâtes les regards qu’il jetait sur moi. Toute faible que j’étais, j’y pris garde ; il est aimable, vous en convenez ; je le trouvai de même ; il ne cessa presque point d’avoir les yeux sur moi, jusqu’au moment où je m’enfermai, et, par malheur, rien de tout cela ne m’échappa.

J’ignorais qui il était. Ce que vous me contâtes de votre histoire ne me l’apprit point ; il est vrai que je pensais quelquefois à lui, mais comme à quelqu’un que je croyais ne pas revoir. On vint plusieurs jours après m’avertir qu’une personne (qu’on ne nommait pas) souhaitait de me parler de la part de madame de Miran. J’étais avec vous alors ; je descendis ; et c’était lui qui m’attendait.

Je rougis en le voyant ; il me parut embarrassé, et son embarras me rendit honteuse ; il me demanda en souriant si je le reconnaissais, si je n’avais pas oublié que je l’avais vu. Il me dit que mon évanouissement l’avait fait trembler, que de sa vie il n’avait été si attendri que de l’état où il m’avait vue ; qu’il l’avait toujours présent ; que son cœur en avait été frappé ; et tout de suite me conjura de lui pardonner la naïveté avec laquelle il s’expliquait là-dessus.

Pendant qu’elle me parlait ainsi, elle ne s’apercevait point que son récit me tuait ; elle n’entendait ni mes soupirs, ni mes sanglots ; elle pleurait trop elle-même pour y faire attention ; et, tout cruel qu’était ce récit, mon cœur s’y attachait pourtant, et trouvait je ne sais quel funeste plaisir dans le déchirement même qu’il me causait.

Et moi, continua-t-elle, je fus si émue de tous ses discours, que je n’eus pas la force de les arrêter ; il ne me dit pourtant point qu’il m’aimait, mais je sentis bien que ce