Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/382

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m’a point parlé de vous ; je l’aime, et je ne le verrai de ma vie.

Il ne m’en aimera pas davantage, lui répondis-je en versant à mon tour un torrent de larmes ; il ne m’en aimera pas davantage. Ah ! mon Dieu, où suis-je, et que ferai-je ? Hélas ! ma mère, je ne serai donc point votre fille ! C’est donc en vain que vous avez été si généreuse ! Quoi ! vous, monsieur de Valville, vous, infidèle pour Marianne, après tant d’amour vous l’abandonnez ! et c’est vous, mademoiselle, qui me l’ôtez ; vous, qui avez eu la cruauté de m’aider à guérir ! Eh ! que ne me laissiez-vous mourir ? Comment voulez-vous que je vive ? Je vous ai donné mon cœur à tous deux, et tous deux vous me donnez la mort. Ah ! je ne survivrai pas à ce tourment-là, je l’espère ; Dieu m’en fera la grâce, et je sens que je meurs.

Ne me reprochez rien, me dit-elle d’un ton plein de douleur ; je ne suis point capable d’une perfidie ; je vous conterai tout ; il m’a trompée.

Il vous a trompée, repartis-je ! Eh ! pourquoi l’écoutiez-vous, mademoiselle ? Pourquoi l’aimer, pourquoi souffrir qu’il vous aimât ? Votre mère venait de partir, vous étiez dans l’affliction, et vous avez le courage d’aimer ! D’ailleurs, il n’était point mon frère, vous le saviez, vous nous aviez trouvés ensemble ; il est aimable, et je suis jeune ; était-il si difficile de deviner que nous nous aimions ? Et quelle excuse avez-vous ? Mais, encore une fois, où l’avez-vous vu ? Vous vous connaissiez donc ! Comment avez-vous fait pour m’arracher sa tendresse ? On n’en a jamais eu tant qu’il en avait, et jamais il n’en trouvera tant que j’en avais moi-même. Il me regrettera, mais je n’y serai plus ; il se ressouviendra combien je l’aimais, il pleurera ma mort ; vous aurez la douleur de le voir ; vous vous reprocherez de m’avoir trahie, et vous ne serez jamais heureuse.

Moi ! vous avoir trahie ! me répondit-elle. Eh ! ma chère Marianne, vous avouerais-je que je l’aime, si je n’avais pas moi-même été surprise ; et ne vais-je pas être la victime de tout ceci ! Tâchez de vous calmer un moment pour m’en-