Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/532

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rompit si brusquement cet instant favorable à la réconciliation, et par là le rendit si court, qu’il était déjà passé quand Brunon jeta les yeux sur moi ; ce n’aurait plus été le même, et je jugeai à propos qu’elle se contînt.

Il y a de ces instants-là qui n’ont qu’un point qu’il faut saisir ; et ce point, nous l’avions manqué, je le sentis.

Quoi qu’il en soit, nous descendîmes. Aucun de nous n’eut le courage de prononcer un mot ; le cœur me battait, à moi. L’événement que nous allions tenter commençait à m’inquiéter pour ma tante ; j’appréhendais que ce ne fût la mettre à une trop forte épreuve ; mais il n’y avait plus moyen de s’en dédire ; j’avais tout disposé moi-même pour arriver à ce terme que je redoutais ; le coup qui devait la frapper était mon ouvrage ; et d’ailleurs, sans le secours de tant d’impressions, que j’allais, pour ainsi dire, assembler sur elle, il ne fallait pas espérer de réussir.

Enfin nous parvînmes à cet appartement du malade. Ma tante soupirait en entrant dans sa chambre. Brunon, sur qui elle s’appuyait aussi bien que sur moi, était d’une pâleur à faire peur. Je sentais mes genoux se dérober sous moi. Madame Dorfrainville nous suivait dans un silence inquiet et morne. Le confesseur, qui marchait devant nous, entra le premier, et les rideaux du lit n’étaient tirés que d’un côté.

Cet ecclésiastique s’avança donc vers le mourant, qu’on avait soulevé pour le mettre plus à son aise. Son fils, qui était au chevet, et qui pleurait à chaudes larmes, se retira un peu ; le jour commençait à baisser, et le lit était placé dans l’endroit le plus sombre de la chambre.

Monsieur, dit l’ecclésiastique à ce mourant, je vous amène madame Dursan, que vous avez souhaité de voir avant que de recevoir votre Dieu. La voici.

Le fils alors leva sa main faible et tremblante, et tâcha de la porter à sa tête pour se découvrir ; mais ma tante, qui arrivait en ce moment auprès de lui, se hâta d’avancer sa main pour retenir la sienne.

Non, monsieur, non, restez comme vous êtes, je vous en