Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/533

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prie ; vous n’êtes que trop dispensé de toute cérémonie, lui dit-elle sans l’envisager encore.

Après quoi, nous la plaçâmes dans un fauteuil à côté du chevet, et nous nous tînmes debout auprès d’elle.

Vous avez désiré m’entretenir, monsieur ; voulez-vous qu’on s’écarte ? Ce que vous avez à me dire doit-il être secret ? reprit-elle ensuite, moins en le regardant qu’en prêtant l’oreille à ce qu’il allait répondre.

Le malade là-dessus fit un soupir ; et comme elle appuyait son bras sur le lit, il porta la main sur la sienne, il la lui prit, et, dans la surprise où elle était de ce qu’il faisait, il eut le temps de l’approcher de sa bouche, d’y coller ses lèvres, en mêlant aux baisers qu’il y imprimait quelques sanglots à demi étouffés par sa faiblesse et par la peine qu’il avait à respirer.

À cette action, la mère alors troublée, et confusément au fait de la vérité, après avoir jeté sur lui des regards attentifs et effrayés : Que faites-vous donc là ? lui dit-elle d’une voix que son effroi rendait plus forte qu’à l’ordinaire. Qui êtes-vous, monsieur ? Votre victime, ma mère, répondit-il du ton d’un homme qui n’a qu’un souffle de vie.

Mon fils ! Ah ! malheureux Dursan ! je te reconnais assez pour en mourir de douleur ! s’écria-t-elle en retombant dans le fauteuil où nous la vîmes pâlir et rester comme évanouie.

Elle ne l’était pas cependant ; elle se trouva mal, mais elle ne perdit pas connaissance ; et nos cris, avec les secours que nous lui donnâmes, rappelèrent insensiblement ses esprits.

Ah ! mon Dieu, dit-elle après avoir jeté quelques soupirs, à quoi m’avez-vous exposée, Tervire ?

Hélas ! ma tante, lui répondis-je, fallait-il vous priver du plaisir de pardonner à un fils mourant ? Ce jeune homme n’a-t-il pas des droits sur votre cœur ? N’est-il pas digne que vous l’aimiez ? Et pouvons-nous le dérober à vos tendresses ? ajoutai-je en lui montrant Dursan le fils, qui se jeta sur-le-champ à ses genoux, et à qui cette grand’mère, déjà toute rendue, tendit languissamment une main qu’il baisa en pleurant de joie ; et nous pleurions tous avec lui. Madame Dur-