Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/535

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Ma tante, immobile à ce nouveau spectacle, resta quelque temps sans prononcer un mot, et puis, tendant les bras à sa belle-fille : Venez donc, Brunon, lui dit-elle en l’embrassant ; venez, que je vous paye de vos services. Vous me disiez que je la connaissais, vous autres ; il fallait dire aussi que je l’aimais.

Brunon, que j’appellerai à présent madame Dursan, parut si sensible à la bonté de ma tante, qu’elle en était comme hors d’elle-même. Elle embrassait son fils, elle nous accablait de caresses, madame Dorfrainville et moi : elle allait se jeter au cou de son mari, elle lui amenait son fils ; elle lui disait de vivre, de prendre courage ; il l’embrassait lui-même, tout expirant qu’il était ; il demandait sa mère, qui alla l’embrasser à son tour, en soupirant de le voir si mal.

Il s’affaiblissait à tout moment ; il nous le dit même, et pressa l’ecclésiastique d’achever ses fonctions ; mais comme, après tout ce qui venait de se passer, il avait besoin d’un peu de recueillement, nous jugeâmes à propos de nous retirer tous, en attendant que la cérémonie se fît.

Ma tante, qui, de son côté, n’avait pu supporter tant de mouvements et tant d’agitations sans en être affaiblie, nous pria de la ramener dans sa chambre.

Je me sens épuisée, je n’en puis plus, dit-elle à madame Dursan ; je n’aurais pas la force d’assister à ce qu’on va faire ; aidez-moi à remonter, Brunon (car elle ne l’appela plus autrement) : et nous la conduisîmes chez elle. Je la trouvai même si abattue, que je lui proposai de se coucher pour se mieux reposer ; elle y consentit.

Je voulus sonner pour faire venir une autre femme de chambre ; mais madame Dursan la jeune m’en empêcha. Oubliez-vous que Brunon est ici ? me dit-elle ; et elle se mit sur-le-champ à la déshabiller.

Comme vous voudrez, ma fille, lui dit ma tante, qui reçut son action de bonne grâce, et ne voulut pas s’y opposer, de peur qu’elle ne regardât son refus comme un reste d’éloignement pour elle. Après quoi elle nous renvoya tous chez