Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/534

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san, qui n’était encore que Brunon, l’ecclésiastique lui-même, madame Dorfrainville et moi, nous contribuâmes tous à l’attendrissement de cette tante. Elle pleurait aussi, et ne voyait autour d’elle que des larmes, qui la remerciaient de s’être laissé toucher.

Cependant tout n’était pas fait : il nous restait encore à la fléchir pour Brunon, qui était à genoux derrière le jeune Dursan, et qui, malgré les signes que je lui faisais, n’osait s’avancer, dans la crainte de nuire à son mari et à son fils, et d’être encore un obstacle à leur réconciliation.

En effet, nous n’avions eu jusque-là qu’à rappeler la tendresse d’une mère irritée, et il s’agissait ici de triompher de sa haine et de son mépris pour une étrangère, qu’elle aimait à la vérité, mais sans la connaître et sous un autre nom.

Cependant ma tante regardait toujours le jeune Dursan avec complaisance, et ne retirait point sa main qu’il avait prise.

Lève-toi, mon enfant, lui dit-elle à la fin ; je n’ai rien à te reprocher, à toi. Hélas ! comment te résisterais-je, moi qui n’ai pas tenu contre ton père ?

Ici les caresses du jeune homme et nos larmes de joie redoublèrent.

Mon fils, dit-elle après en s’adressant au malade, est-ce qu’il n’y a pas moyen de vous guérir ? Qu’on lui cherche partout du secours ; nous avons des médecins dans la ville prochaine, qu’on les fasse venir, et qu’on se hâte.

Mais, ma tante, lui dis-je alors, vous oubliez encore une personne qui est chère à vos enfants, qui nous intéresse tous, et qui vous demande la permission de se montrer.

Je t’entends, dit-elle. Eh bien ! je lui pardonne ; mais je suis âgée, ma vie ne sera pas encore bien longue ; qu’on me dispense de la voir. Il n’est plus temps, ma tante, lui dis-je alors ; vous l’avez déjà vue, vous la connaissez, Brunon vous le dira.

Moi, je la connais ? reprit-elle ; Brunon dit que je l’ai vue ? Eh ! où est-elle ? À vos pieds, répondit Dursan le fils ; et celle-ci à l’instant venait de s’y jeter.