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Qu’on ait la bonté de me laisser seule une demi-heure, nous dit-elle et nous nous retirâmes.

Tout ceci s’était passé entre nous trois ; madame Dursan et son fils n’y avaient point été présents ; mais ma tante les envoya chercher, quand elle nous eut fait rappeler, madame Dorfrainville et moi.

Nous jugeâmes qu’elle venait d’écrire ; elle avait encore une écritoire et du papier sur son lit, et elle tenait d’une main le papier cacheté que je lui avais donné.

Voici, dit-elle à madame Dursan, le testament que j’avais fait en faveur de ma nièce ; mon dessein, depuis le retour de mon fils, a été de le supprimer ; mais il y a trois ou quatre jours qu’elle m’en sollicite à chaque instant ; et je vous le remets, afin que vous y voyiez vous-même que je lui laissais tout mon bien.

Après ces mots, elle le lui donna. Prenant ensuite un second papier cacheté, qu’elle présenta à madame Dorfrainville : Voici, poursuivit-elle, un autre écrit dont je prie madame de vouloir bien se charger ; et, quoique je ne doute pas que vous ne satisfassiez de bonne grâce aux petites dispositions que vous y trouverez, ajouta-t-elle en adressant la parole à madame Dursan, j’ai cru devoir encore vous les recommander, et vous dire qu’elles me sont chères, qu’elles partent de mon cœur, qu’en un mot j’y prends l’intérêt le plus tendre, et que vous ne sauriez ni mieux prouver votre reconnaissance à mon égard, ni mieux honorer ma mémoire, qu’en exécutant fidèlement ce que j’exige de vous dans cet écrit, que je confie à madame Dorfrainville. Pour vous y exciter encore, songez que je vous aime, que j’ai du plaisir à penser que vous allez être dans une meilleure fortune, et que tous ces sentiments avec lesquels je meurs pour vous, sont autant d’obligations que vous avez à ma nièce.

Elle s’arrêta là, et demanda à se reposer ; madame Dorfrainville l’embrassa, partit à onze heures, et six jours après ma tante n’était plus.

Vous concevez aisément quelle fut ma douleur. Madame Dursan parut faire tout ce qu’elle put pour l’adoucir ; mais