Page:Marivaux - La Vie de Marianne.pdf/538

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je ne fus guère sensible à tout ce qu’elle me disait, et, quoiqu’elle fût affligée elle-même, je crus qu’elle ne l’était pas assez ; ses larmes n’étaient pas amères ; il y entrait, ce me semble, beaucoup de facilité de pleurer, et voilà pourquoi elle ne me consolait pas malgré tous ses efforts.

Son fils y réussissait mieux ; il avait, à mon avis, une tristesse plus vraie : il regrettait du moins son père de tout son cœur, et ne parlait de ma tante qu’avec la plus tendre reconnaissance, sans songer, comme sa mère, à l’abondance où il allait vivre.

Et puis je le voyais sincèrement s’intéresser à mon affliction. Ce dernier article n’était pas équivoque ; et peut-être à cause de cela jugeais-je de lui plus favorablement sur le reste.

Quoi qu’il en soit, madame Dorfrainville vint deux jours après au château avec le papier cacheté que ma tante lui avait remis, et qui fut ouvert en présence de témoins, avec toutes les formalités qu’on jugea nécessaires.

Ma tante y rétablissait son petit-fils dans tous les droits que son père avait perdus par son mariage ; mais elle ne le rétablissait en entier qu’à condition qu’il m’épouserait, et qu’au cas qu’il en épousât une autre, ou que le mariage ne me convînt pas à moi-même, il serait obligé de me donner le tiers de tous les biens qu’elle laissait, de quelque nature qu’ils fussent.

Qu’au surplus l’affaire de notre mariage se déciderait dans l’intervalle d’un an, à compter du jour où le paquet serait ouvert : et qu’en attendant, il me ferait du même jour une pension de mille écus, dont je jouirais jusqu’à la conclusion de notre mariage, ou jusqu’au moment où j’entrerais en possession du tiers de l’héritage.

Toutes ces conditions-là sont de trop, s’écria vivement Dursan le fils pendant qu’on lisait cet article ; je ne veux rien qu’avec ma cousine.

Je baissai les yeux, et je rougis d’embarras et de plaisir sans rien répondre ; mais le tiers de ce bien qu’on me donnait, si je ne l’épousais pas, ne me tentait guère.