Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/341

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vous lui avoir dit cela d’un ton bien vrai, du ton d’un homme qui le sent ?

Le Chevalier.

Oh ! ne craignez rien, je l’ai dit de l’air dont on dit la vérité. Comment donc, je serais très fâché, à cause de vous, que le commerce de notre amitié rendît vos sentiments équivoques ; mon attachement pour vous est trop délicat pour profiter de l’honneur que cela me ferait ; mais j’y ai mis bon ordre, et cela par une chose tout à fait imprévue : vous connaissez sa sœur, elle est riche, très aimable, et de vos amies, même.

La Marquise.

Assez médiocrement.

Le Chevalier.

Dans la joie qu’il a eu de perdre ses soupçons, le comte me l’a proposée ; et comme il y a des instants et des réflexions qui nous déterminent tout d’un coup, ma foi j’ai pris mon parti ; nous sommes d’accord, et je dois l’épouser. Ce n’est pas là tout, c’est que je me suis encore chargé de vous parler en faveur du comte, et je vous en parle du mieux qu’il m’est possible ; vous n’aurez pas le cœur inexorable, et je ne crois pas la proposition fâcheuse.

La Marquise, froidement.

Non, monsieur ; je vous avoue que le comte ne m’a jamais déplu.

Le Chevalier.

Ne vous a jamais déplu ! C’est fort bien fait. Mais pourquoi donc m’avez-vous dit le contraire ?

La Marquise.

C’est que je voulais me le cacher à moi-même, et il l’ignore aussi.