Page:Marivaux - Théâtre, vol. I.djvu/456

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Angélique.

Oh ! pour cela, oui. C’est lui qui est aimable, qui est complaisant, et non pas ce M. Damis que ma mère a été prendre je ne sais où, qui ferait bien mieux d’être mon grand-père que mon mari, qui me glace quand il me parle et qui m’appelle toujours ma belle personne, comme si on s’embarrassait beaucoup d’être belle ou laide avec lui ; au lieu que tout ce que me dit Éraste est si touchant ! On voit que c’est du fond du cœur qu’il parle, et j’aimerais mieux être sa femme seulement huit jours, que de l’être toute ma vie de l’autre.

Lisette.

On dit qu’il est au désespoir, Éraste.

Angélique.

Eh ! comment veut-il que je fasse ? Hélas ! je sais bien qu’il sera inconsolable. N’est-on pas bien à plaindre, quand on s’aime tant, de n’être pas ensemble ? Ma mère dit qu’on est obligé d’aimer son mari ; eh bien, qu’on me donne Éraste, je l’aimerai tant qu’on voudra. Puisque je l’aime avant que d’y être obligée, je n’aurai garde d’y manquer quand il le faudra ; cela me sera bien commode.

Lisette.

Mais avec ces sentiments-là, que ne refusez-vous courageusement Damis ? il est encore temps. Vous êtes d’une vivacité étonnante avec moi, et vous tremblez devant votre mère. Il faudrait lui dire ce soir : « Cet homme-là est trop vieux pour moi ; je ne l’aime point, je le hais, je le haïrai, et je ne saurais l’épouser. »

Angélique.

Tu as raison : mais quand ma mère me parle, je n’ai plus d’esprit. Cependant je sens que j’en